Style Wabi Sabi : de la philosophie japonaise à la tendance déco qui sublime l’imperfection
- Perspectives Architecture & Design
- 8 sept.
- 7 min de lecture
Loneliness
– among the blossoms
a false cypress
Bashō, 2004
Vous en avez marre des intérieurs trop lisses, trop “parfaits”, trop "neufs" où rien ne dépasse ? Alors le style wabi sabi pourrait bien être votre nouveau coup de cœur. Ce concept venu du Japon ne se résume pas à une palette de couleurs neutres ou à quelques vases artisanaux. C’est d’abord une philosophie de vie qui prend racine dans l'histoire ancestrale du Japon et s'inscrit dans la cérémonie du thé : accepter que les choses vieillissent, se transforment, s’abîment parfois… et en faire une source de beauté.
Mais comment est-on passé d’une philosophie de vie à une tendance design vendue dans les magasins ? Et surtout, comment adopter le style wabi sabi chez soi sans tomber dans le cliché marketing qui dénaturerait le concept originel ?
1. Aux origines : bien plus qu’un style de décoration
Le style wabi sabi prend racine dans le Japon médiéval, marqué par l’arrivée du bouddhisme zen au XIe siècle. Cette influence spirituelle met en avant la sobriété, l’impermanence et la beauté de l’imparfait.
C’est au XVe siècle que le moine Murata Shukō joue un rôle majeur en donnant une expression concrète au wabi-sabi dans la cérémonie du thé. À l’époque, l’élite raffole des porcelaines de Chine. Lui préfère des bols rustiques, irréguliers, faits main — parce qu’ils racontent une histoire et qu’ils dégagent une force bien plus subtile.
Wabi : sobriété, simplicité, dépouillement volontaire.
Sabi : patine du temps, altération, beauté du vieillissement.
Rapidement, ce duo devient plus qu’une esthétique : c’est une philosophie de vie fondée sur l’impermanence et l’acceptation des choses telles qu’elles sont.
👉 Pour aller plus loin : je vous conseille cette vidéo, qui revient en détail sur l’évolution historique du wabi sabi
Aujourd’hui encore, le wabi sabi irrigue la culture japonaise. On le retrouve dans la cérémonie du thé bien sûr, mais aussi dans le hanami (l’art de contempler la beauté éphémère des cerisiers en fleurs) ou le kintsugi (réparer une poterie brisée avec de la laque dorée, et rendre ses cicatrices magnifiques).
2. Le style wabi sabi devient
une tendance déco internationale
Pendant longtemps, le wabi sabi n’avait rien d’un “style déco” : c’était une ambiance, une manière de regarder le monde.
Mais en 1994, l’artiste et architecte américain Leonard Koren publie Wabi-Sabi for Artists, Designers, Poets & Philosophers. Avec lui, le concept sort des maisons de thé pour entrer dans le vocabulaire du design. Il explique notamment ce terme si insaisissable de la sorte :
La réalité découle de l’observation de la nature.
La beauté peut-être obtenue à partir de la laideur.
Se défaire de l’impermanence et ne pas chercher la perfection et la permanence.
Puis, tout s'emballe :
Années 2000-2010 : chez nous, c'est la mode du "Less is more" c’est surtout le minimalisme scandinave qui domine (IKEA). On parle parfois de “style zen”, mais le vrai wabi sabi reste dans l’ombre, même si MUJI est déjà là par exemple.
À partir de 2015 : les magazines déco et Pinterest s’en emparent. On commence à voir des intérieurs à la chaux, des tables en bois brut, des céramiques irrégulières. Le style wabi sabi devient une tendance internationale.
Depuis 2020 : il inspire même de nouveaux courants comme le Japandi, mélange du minimalisme scandinave et de l’esprit japonais. Dans un monde consumériste où survient une épidémie mondial, il semblerait être une réponse à nos angoisses...
3. Les caractéristiques du style wabi sabi
en décoration intérieure
Le Wabi Sabi est une philosophie de vie, qui n'est pas compréhensible par le premier venu.
Sa définition reste volontairement floue et peut sembler insaisissable au premier abord. Alors si vous vous sentez un peu perdu, c’est normal ! L’essentiel est moins de chercher une règle stricte que de se laisser guider par votre intuition, vos émotions et une curiosité sincère pour comprendre en profondeur ce que cela signifie.
Pour vous aider, on peut toutefois dégager quelques grandes lignes qui permettent d’identifier le style wabi sabi dans un intérieur :
Matériaux bruts et naturels : bois massif, pierre, argile, lin, plâtre à la chaux.
Couleurs apaisantes : beiges, gris doux, bruns terreux, verts inspirés de la nature.
Objets artisanaux : poteries irrégulières, mobilier fait main, pièces anciennes ou réparées.
Minimalisme chaleureux : des espaces épurés, mais jamais froids ; chaque objet a une histoire et une présence.
Beauté de l’imperfection : fissures, usures et traces du temps sont intégrées à l’esthétique — l’exemple emblématique reste le kintsugi, réparation à l’or des céramiques brisées.
4. Comment adopter le style wabi sabi chez soi ?
Bonne nouvelle : pas besoin d’importer une maison de thé japonaise dans votre salon. Le style wabi sabi n’a rien à voir avec l’exotisme forcé, c’est une philosophie que vous pouvez appliquer avec ce que vous avez déjà chez vous. Rappelez-vous : c’est avant tout une philosophie de vie, pas un catalogue. Utilisez votre propre culture : vieille table en bois qui porte les marques du temps, un vase artisanal un peu irrégulier, un mur à la texture imparfaite… tout cela exprime déjà l’esprit du wabi sabi.
Quelques astuces simples pour intégrer le style wabi sabi dans votre intérieur :
Gardez vos objets imparfaits : la table rayée de votre grand-mère peut être plus wabi sabi qu’un meuble tout neuf.
Pour une ambiance mystique, vieux monastère. Vous avez la vision ?
Privilégiez le fait main : un bol en céramique artisanale, même un peu irrégulier, a plus d’âme qu’une tasse industrielle de chez Zara Home même si elle a l'étiquette "Japandi". D'ailleurs, pour respecter l'esprit Wabi Sabi on recommande vivement la boutique de Yann TOURET.
Misez sur les textures : murs patinés, lin froissé, bois brut. L’idée n’est pas de cacher, mais de révéler. Idéal à apporter en petite touche déco : plaid, coussin, nappe mûrement réfléchit... Ou si vous refaites votre appartement en rénovation complète, réfléchissez aux revêtements des murs, du sol...
Recyclez, réparez, détournez : le wabi sabi aime les objets qui vivent plusieurs vies. Le kintsugi en est un bon exemple. À vous de trouver l'inspiration et la créativité pour inviter à la contemplation... Cela peut être du DIY, avec les objets que vous trouvez autour de chez vous ou en vacances dans l'Ardèche.
Des huîtres repeintes servent de dépose bijoux ou de salière, une branche majestueuse habille un mur (elle se suffit à elle même, pas besoin de rajouter de la corde, des led, une suspension....)... Des galets peuvent servir de presse papier, des feuilles séchées inviter à prendre conscience du temps qui passe... Des pots en vert chinés avec vos herbes séchées pour les tisanes peuvent mettre en avant un savoir faire ancestral... De vieux meubles remis au goût du jour, un vieille évier en pierre valorisé... Bref tout est source de créativité ! Vous pouvez aussi prendre exemple sur la façon dont les artistes détournent les objets en déco pour vous inspirer, dans une ambiance plus maximaliste.
Simplifiez : pas besoin de surcharger. Mieux vaut une pièce choisie avec le cœur qu’une étagère remplie pour remplir.
5. Idées et inspiration style wabi sabi
en déco, architecture et design ?
Le style wabi sabi ne se limite pas à des principes abstraits : il se vit dans des lieux où architecture, matériaux et atmosphères traduisent la beauté de l’imperfection et la simplicité.
Les lieux d’origines au Japon
Ryōan-ji (Kyoto) : son jardin sec mondialement connu incarne l’asymétrie et la sobriété.
Daitoku-ji (Kyoto) : temple zen et hauts lieux de la cérémonie du thé.
Villa Katsura (Kyoto) : un chef-d’œuvre du XVIIe siècle, tout en matériaux naturels et simplicité.
Chashitsu, les maisons de thé traditionnelles : petites salles sobres où la cérémonie du thé révèle la beauté des objets artisanaux imparfaits.
L'influence wabi sabi chez Tadao Ando
L’architecte japonais Tadao Ando transpose l’esprit wabi sabi dans une architecture contemporaine. Si l'on l'associe souvent au brutalisme (pour ces bâtiments en béton, la simplicité appartente des formes de ses oeuvres...).
On oublie bien souvent qu'en tant que japonais, il est influencé par la philosophie Zen et l'esprit Wabi Sabi. En photo ici, l'Église flottante.
Ses oeuvres, sont donc profondément ancrée dans cette spiritualité, le béton le plus simple et épuré, suffisant à lui même, dialogue constamment avec la nature et la lumière. Une invitation à la méditation ! Très souvent, ses oeuvres architecturale créé des faisceaux lumineux nous obligeant à nous arrêter, à contempler, à méditer. Cette atmosphère spirituelle illustre parfaitement l’esthétique du dépouillement et de l’impermanence.
Ses œuvres traduisent le wabi sabi dans un langage architectural moderne, sans jamais perdre la connexion avec la nature et la sobriété.
Des lieux contemporains en Europe et aux États-Unis
Le style wabi sabi inspire aujourd’hui des projets internationaux qui adaptent sa philosophie à la vie moderne.
Happa to Mame (Poznań, Pologne) : café minimaliste inspiré du Japon, où bois brut, enduits à la chaux et mobilier artisanal créent une ambiance apaisante et imparfaite.
TriBeCa Penthouse (New York, par Axel Vervoordt et Tatsuro Miki) : intérieur iconique qui traduit le wabi sabi en design contemporain. Le mobilier brut, les pièces patinées et les espaces lumineux expriment une imperfection raffinée.
6. Style wabi sabi :
tendance ou philosophie durable ?
L’Occident a souvent le chic pour transformer des philosophies de vie en tendances design... On l’a fait avec le hygge danois (cocooning), le lagom suédois (juste équilibre) ou le feng shui chinois (harmonie des espaces). Le style wabi sabi s’inscrit dans cette lignée : à la fois art de vivre et inspiration pour la maison.
Mais au Japon, le wabi sabi dépasse largement la décoration. On le retrouve dans la poésie, les haïkus, la peinture à l’encre, la cérémonie du thé, l’art des jardins et l’architecture. C’est une esthétique totale qui s’exprime dans le quotidien comme dans les grandes œuvres, pas un simple style d’aménagement.
En Occident, certains designers ont commencé à élargir cette vision. Le plus emblématique est sans doute Axel Vervoordt, qui a transformé le Wabi Sabi en langage artistique. Son travail sur le TriBeCa Penthouse à New York (avec Tatsuro Miki) montre comment l’imperfection, les matières brutes et la lumière deviennent une véritable œuvre d’art.
Alors, tendance passagère ou philosophie durable ? On espère que le wabi sabi saura inspirer chez nous non seulement nos intérieurs, mais aussi notre manière de créer, d’écrire, de construire… et même de regarder la vie.
Et si, finalement, le vrai luxe consistait à laisser les choses être ce qu’elles sont ?
Commentaires